Ecrits, textes, documents…
Ecrits et entreien avec Claire Maingon 2020
( Maître de coférence en histoire de l'art contemporain à l'université de Rouen, Directrice de la revue Sculptures ).
D’une forme de sagesse.
Regard sur l’œuvre de Thanouvone thi-hack Baldine
Depuis les années 1990, Thanouvone thi-hack Baldine, peintre et sculpteur, a pour sujet le thème de l’enfermement. Enfermement social, enfermement en soi. Cette distanciation, cette rupture avec les autres, cet homme la connait comme tout le monde. Chacun en fait l’expérience dans sa vie, à des degrés divers. Ce qui est moins commun est que Thanouvone l’a approchée dans son paroxysme en tant que travailleur social dans le domaine psychiatrique/antipsychiatrique, en assistant des handicapés psychiques et mentaux, des autistes, cette partie de nos semblables que le Moyen Age considérait comme des fous, et la folie comme une manifestation du diable. L’hérésie, ne réside-t-elle pas, aujourd’hui, dans notre volonté de museler à tout prix ce qui diffère de l’ordinaire, de la normalité ? Dans ses premiers travaux sur toile ou papier, Thanouvone a voulu suggérer cette folie de contenir la folie par la camisole chimique. De neuroleptiques, d’anxiolytiques, il a fait des essences rares, des fluides appliqués sur des toiles, des papiers, des collages. Il a dessiné, aussi, les visages de ses semblables dissemblables. Peut-être que le déracinement que Thanouvone a vécu en tant que fils de réfugié laotien après le coup d’état de 1975 n’est pas étranger à son empathie.
Travailler et transformer en matières poétiques des substances aussi codifiées que les psychotropes relève de l’alchimie moderne. Nous quittons le domaine de la science médicale pour rejoindre les méandres de l’inconscient et de l’affect. Mais quelle serait la quête philosophale ? Prolonger la vie humaine, changer le plomb en or ? Si le pouvoir des images est certain, la guérison réside surtout à l’intérieur de nous-mêmes. Thanouvone ne s’adresse pas aux initiés. Ses œuvres sont données à tous, soignants comme soignés. Ne sommes-nous pas tous des malades et des morts en puissance, suivant le principe que tout vivant est en sursis face à l’inévitable ? L’humain devrait, donc, cultiver l’humilité et la sagesse, s’unir plutôt que se diviser, se réunir pour affronter la dualité.
De tout cela, il est toujours question dans les sculptures de l’artiste, au travers d’une pratique qu’il développe depuis une trentaine d’années. Ses œuvres sont rares et précieuses. Elles délivrent toujours un message attaché à l’holistique, ce dépassement de l’individualité pour penser l’ensemble. Son matériau de prédilection ? La brique, faite de cette terre argileuse dont la mythologie a dit l’homme façonné. C’est une matière organique, chaude, qui invite au calme, familière et même ordinaire, à la belle couleur rouge orangée. Née de l’association des quatre éléments, la brique est aussi le symbole du bâtisseur. Ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, que Thanouvone cite parfois le peintre et sculpteur Per Kirkerby parmi les artistes qui l’ont précédé dans l’usage de ce matériau. Kirkerby crée, avec la brique, des sculptures architectures qui invitent au passage. Ce thème, que Thanouvone considère lui aussi comme fondateur dans son travail artistique, n’est-il pas une occasion de réfléchir sur la dualité ? Le mur, la paroi, le monument, la stèle, le paravent, voire le miroir, sont autant d’écrans que nous sommes invités à contourner, à traverser, à surmonter, à accepter parfois dans leur frontalité souveraine.
Pour appréhender la dualité, l’adversité peut-être, rien n’est plus utile que la sagesse. Celle de Bouddha, peut-être, qui, rappelons-le, est moins un dieu qu’un homme éveillé, ayant dépassé la dualité. L’un des signes de sa haute spiritualité sont ses oreilles, aux lobes très allongés. Le motif du pavillon de l’oreille, cette conque qui ouvre vers l’écoute et la compréhension, vers le sens, se retrouve dans plusieurs œuvres de Thanouvone. On la trouve dans l’un des éléments des Trois singes (2004), trois formes abstraites et organiques dont la réunion renvoie au mythe asiatique des Singes de la Sagesse. « Tout voir, tout entendre et ne rien dire », nous dit l’artiste. Thanouvone transforme la maxime, et suggère le silence qui brise le lien social et humain. Les Oreilles de Bouddha est une œuvre plus monumentale en brique, composée de quatre éléments éclatés mais indivisibles pour accéder à leur signification holistique. Forme fermée et ouverte, elle semble en métamorphose dans le processus d’éveil.
Thanouvone travaille aussi une forme particulière : la stèle, qui nous envoie dans le paradigme du monument. L’œuvre s’intitule Hommage à Cimabue (2002), monument commémoratif imaginaire élevé à un artiste de la pré-renaissance associé à la théorie de la perspective occidentale. Aucun appareillage de maçonnerie ne relie les briques entre elles. Elles semblent naturellement unies. La stèle comporte en relief sur sa face un motif apprécié de l’artiste : le croissant, répété à neuf reprises. L’arc incomplet est tout à fait tourné vers la terre et ne ressemble donc en rien à l’astre de la nuit. Pourtant, il est porteur d’un symbolisme qui ne lui est pas étranger : navire des âmes, la lune dans sa plénitude est le symbole de la vérité et de la tranquillité. A l’envers, morcelée, elle incarne la croissance et la décroissance de la vie, rappelle le commencement et la fin. Nous retrouvons ce symbole dans la stèle Aux vieillards des Hospices (2002). Le croissant évoque l’idée de cycle, mais aussi, une nouvelle fois, celle de dualité. Thanouvone nous renvoie toujours à la condition humaine, à son ambivalence malgré le désir l’unité. « Nous sommes tous une lune et possédons une face sombre qu’on ne montre à personne », écrit Mark Twain, écrivain américain. Mais, au fait, pourquoi Cimabue ? Peut-être pour la stylisation byzantine, la beauté mystique de ses œuvres, rares. L’architecture, cet art majeur, avait un sens profond pour Cimabue, qui fréquentait d’ailleurs les alchimistes. S’il fut l’un des précurseurs de la théorie de perspective à la Renaissance, nous aurions tort de penser que la notion de plan, de profondeur, n’a intéressé ni les artistes qui l’ont précédé, ni ceux appartenant à d’autres cultures. La perspective unique n’existe pas, seuls s’opposent des systèmes de pensée et de vision qui construisent notre rapport au monde. Souvent, reconnaissons-le, notre vision du monde est étriquée. Nous sommes prisonniers de nos croyances, forgées par notre culture. Dans cette thématique chère à Thanouvone, celle de l’emprisonnement, il a dressé des sculptures « Cages à P.» 2018, acier), comme autant de pièges visuels. Ces formes cylindriques ouvertes, dont la hauteur dépasse celle d’un homme, sont posées à même le sol ou dressées verticalement. Elles ont une présence architecturale, et une profondeur qui laisse passer le regard. Est-ce pour mieux voir que nous sommes d’hypothétiques femmes et hommes libres ? A nous seuls de le décider.
Les plus récentes sculptures de Thanouvone se présentent sous le principe de l’installation (Double passage, 2010). Des croissants de terre cuite colonisent des murs et des fenêtres, comme autant de signes qui ne peuvent nous laisser indifférents. De quoi sont-ils le souvenir ou la trace ? Le croissant apparait encore dans une autre installation in situ en Bourgogne de 2015 à 2019, gravé ou peint sur le tronc des arbres, inscrit sur la pierre des murs comme un jeu de pistes. Où nous conduit-il ? Vers les vestiges d’une civilisation perdue ? Le rêve d’une civilisation telle que celle que Thanouvone a quitté ? Je pense à l’antique civilisation laotienne, dont l’histoire fut traversée par l’hindouisme et le bouddhisme, et que la modernité a durement éprouvé au cours du violent XXe siècle. Le Laos est devenu une dictature, un état unitaire prétendument démocratique. Cela Thanouvone ne peut l’ignorer, l’oublier. C’est aussi cette mémoire dont il est question dans les œuvres de l’artiste, animé ou armé d’une sage et véritable conscience politique et sociale.
Claire Maingon
Paris, mars 2020
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Entretien avec Claire Maingon en novembre 2020
1) Sartre a écrit ‘l’enfance décide. Penses tu que ton enfance a influencé ta vocation d’artiste ?
Thanouvone Thihack Baldine : Je pense que c’est vers l’adolescence au moment où la guerre a éclaté au Laos en 1975. J’ai dû probablement porter cette énergie créatrice que j’ai gardé en moi vers l’âge de 19/20 ans ( 1979/80 ) ce qui m’a amené à passer un concours et fût admis aux Beaux-Arts de Lille. Après une rupture pour raison de survie et financière je suis rentré par la suite aux Beaux-Arts de Dunkerque pendant un an en 1986. Suite à une deuxième rupture, j’ai enfin réussi à retourner aux Beaux-Arts de Dunkerque de 1989 à 1994. A l’issu de ce parcours laborieux et de persévérance, l’art est devenu une activité vitale pour moi. Quant à Sartre et l’enfance, je ne connais pas du tout.
Durant mon enfance, je n’avais aucune notion sur l’art. Je ne fréquentais pas les musées, ni les galeries d’art, ni les expositions. Je n’étais pas baigné dans un milieu familial artistique. Nous étions plutôt intéressés par l’art traditionnel Lao et les peintures Bouddhistes.
2) Créer, est-ce toujours retourner vers l’enfance, l’essentiel, le centre de nous mêmes ?
Th.Th.B. : A ma connaissance et les acquis intellectuels et individuels que j ‘ai pu découvrir, lire et rencontrer. Je pense que la création est un acte conceptuel de construction, de fabrication, de recherche, de filiation, que l’enfant n’a pas encore assez de maturité, de connaissance. Il doit expérimenter des étapes et faire des rencontres afin d’élaborer sa création.
Personnellement, je me souviens que j’ai commencé à dessiner mes premiers dessins « Village Lao » avec du coloriage de crayon couleur vers l’âge de 8 ans environ pour un concours de dessin à l’école de Paksé. Je ne pense pas que c’était de la création c’était plutôt une reproduction de ce que j’ai vu ou imaginé.
La création est un acte de réflexion, de conception… Je ne pense pas que c’est quelque chose qui tombe du ciel. Certes, certaine personne est plus ou moins sensible et émue que d’autres. L’enfant est plutôt inspiré par l’invention, l’imaginaire…il créera lorsqu’il sera adulte...et la route est longue.
Je pense à Miro qui a utilisé des dessins d’enfants, ce ne sont pas ces derniers qui ont créé ses œuvres.
De même que Tim Rollins & K.O.S. qui avait travaillé avec des étudiants et des enfants dans le Bronx.
Par rapport à la citation que Joseph Beuys : « Chaque homme est un artiste », je pense qu’il y a eu un amalgame, il voulait dire que chaque être humain a une potentielle force créatrice en lui dans tous les domaines et non qu’en tant qu’artiste au sens stricte de l’art.
« L’acte de la création est l’acte de la résistance à la mort « Gilles Deleuze.
3) Quels sont tes liens avec le Laos ? Est ce Que ta culture d’origine influence ton travail et de quelle manière ?
Th.Th.B. : Je pense que ma culture d’origine n’influence pas forcément mes travaux artistiques. Néanmoins depuis le workshop que j’ai réalisé avec ma compagne ( Thihack Baldine ) ainsi que la participation d’un groupe d’étudiants et quelques professeurs laotiens en 2006 et 2008 aux Beaux-Arts de Vientiane et de Savannakhet au Laos. J’ai commencé à utiliser des écritures laotiennes et sens scripte bouddhiste, reproduction d’images d’animaux, des formes d’ornements et des matériaux provenant du Laos. La culture Lao ne prend pas le dessus sur ma création, mais les attitudes de la société oui, car vis à vis de mes propos critiques sur l’enfermement social. Au Laos on n’enferme pas les personnes âgées dans les EHPAD, ni les personnes dérangées psychiquement en hôpital psychiatrique. La majorité vit dans la famille, comme en France pour nos anciens jusqu’au XX ème siècle.
4) Pourquoi la sculpture? Que rapporte cette pratique est elle complémentaire au dessin?
Th.Th.B. : Je pense que mes dessins permettent l’élaboration de mes sculptures. C’est la base je crois, sans dessin, pas de sculptures. Ces deux médiums sont autonomes. Et il en faut des dizaines, des centaines de dessins afin de voir éclore une sculpture. Je pense également aux écrivains, sans mot, ni texte, pas de livre.
· Rodin : « C’est bien simple: mes dessins sont la clé de mon œuvre ».
· Vincent Barré : « Cinq pains - le pain. Au-dessus des dessins, une phrase qui sonne comme une déclaration d'intention, un impératif moral et esthétique : "faire un art qui soit aussi nécessaire qu'une boule de pain". Sous les dessins, les notes elliptiques d'un "projet pour un musée" : le nom de Stoskopff invite à y lire l'origine de l'exposition "reposer, regarder" du musée Malraux. »
( Cyril Neyrat ).
· Richard Deacon : « Je dessine parce que je m’ennuie ». il a commencé à dessiner un des premiers dessin « Orphée » au début de son parcours artistique.
· Brancusi : « quelques 100 sculptures majeures de l'artiste dispersées à travers le monde, complétées par une quarantaine de dessins et de photographies originales. C'est une œuvre fondamentale pour la compréhension de la naissance de la sculpture moderne ».
· Cimabuë : « il marqua un goût particulier pour les arts du dessin, il donna les premières lumières à la peinture [...]. Cimabuë enleva de ses ouvrages cet air de vieillesse en rendant les draperies, les vêtements et les autres détails plus vivants et naturels, plus gracieux et souples que dans la manière grecque, toute pleine de lignes droites et de profils aussi rigides que dans les mosaïques. » ( Vasari ).
Vis-à-vis de la sculpture je pense que c’est un médium qui est accessible au visuel et au touché. Les matériaux sont réalisés pour résister par rapport aux intempéries, aux temps qui passent. Pour ma part, j’ai toujours eu inconsciemment en moi ce médium sculptural. Un professeur aux Beaux-Arts m’a dit un jour : » Tu es plus sculpteur que peintre dans la réalisation de tes peintures ». C’est curieux n’est-ce pas qu’il apercevait l’existence de ce lien ?
En 2001/2002, j’ai fait des sacrifices et des efforts importants afin d’intégrer l’E.n.s.b.a. à Paris et provoquer des rencontres avec des professeurs / artistes dont celle avec Vincent Barré qui m’a ouvert l’horizon de la sculpture.
5) A qui souhaites tu t’adresser ?
Th.Th.B. : Je pense que mes créations comme d’autres artistes ont pour but d’atteindre le plus grand nombre de personnes possibles. Non au sens de ne toucher que des spécialistes de l’art et des personnes qui se rendent aux foires d’art. Malgré la démocratisation de l’art, accès à la culture pour tous, il faut s’en méfier. Je crois que les personnes qui s’intéressent à l’art font parties de ceux qui s’investissent par des lectures, des expos, des recherches, des conférences…ou sont habitées par une passion dévorante. Surtout, vis-à-vis de la sculpture moderne et contemporaine, je pense que les amoureux de ce médium sont moins nombreux que les autres disciplines de la création. C’est pourquoi il me semble que c’est difficile d’atteindre tout le monde. Les œuvres demandent un effort individuel important pour les appréhender et les comprendre.
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Revue Point contemporain #27
ENTRETIEN avec Valérie Toubas et Daniel Guionnet , Critique d'art indépendant, Co directeur de publication et rédaction de la Revue Point Contemporain
THANOUVONE THI-HACK BALDINE
" Si un lien peut être établi dans mon travail entre art et médecine,
celui-ci porte sur une dimension sociale mais surtout sur cette
relation de création que l’on peut nouer avec un patient."
Depuis plus de trente ans, Thanouvone Thi-hack Baldine
développe sa pratique artistique en animant des ateliers et
workshops avec son assistante Thi-hack Baldine dans des
établissements médico-sociaux, EHPAD ou lieux alternatifs
psychiatriques, autant d’univers qui lui permettent d’associer
son propre domaine de créativité à celui qu’il a connu dans
les écoles des Beaux-Arts, de Paris, de Lille, de Dunkerque
ou de Ventiane au Laos. Grand lecteur de Joseph Beuys,
son oeuvre n’est pas sans nous rappeler que vie et art sont
intimement liés. Loin des circuits officiels, ou mercantiles,
Thanouvone thi-hack Baldine propose plus qu’un travail, mais
une action qui vise à abolir les distances entre les individus,
les peuples, les pratiques. Toute forme de créativité est un
vecteur de communication car elle libère une expression
personnelle. L’oeuvre de Thanouvone Thi-hack Baldine
nous rappelle combien la nécessité de cette parole est
impérative et à quel point l’individu en est privé quand, par
obligation, il enchaîne école et monde du travail. Sans ce
temps indispensable pour aller au fond de soi, il n’a plus la
possibilité de devenir cet « homme conscient » que décrit
Joseph Beuys. Thanouvone Thi-hack Baldine nous montre
que chacun est capable d’être artiste, c’est-à-dire de trouver
sa manière personnelle de s’exprimer dans le monde, de
trouver sa voie.
Si un lien peut être établi dans mon travail entre art et médecine,
celui-ci porte sur une dimension sociale mais surtout sur cette
relation de création que l’on peut nouer avec un patient.
Quelle place tiennent tes éléments biographiques dans ton
parcours artistique ?
J’ai quitté le Laos alors en guerre avec ma famille en 1975 . Nous
sommes venus en France, un pays que je connaissais pour y
avoir séjourné quelques années plus tôt alors que j’avais 12 ans.
J’ai suivi mes études en France et intégré l’École des Beaux-Arts
de Lille, de Dunkerque puis de Paris. Pour gagner ma vie, j’ai
travaillé en tant qu’éducateur pendant une trentaine d’années,
d’abord comme éducateur social, puis auprès des handicapés
psychiques dans des foyers et appartements alternatifs. Pendant
cinq ans, j’ai animé des ateliers artistiques avec des jeunes et des
adultes alors que j’étais étudiant. C’était un moyen pour moi de
communiquer avec eux de manière assez ludique. Parallèlement,
j’ai commencé à associer des éléments dans mes recherches
plastiques provenant de mon travail en tant qu’éducateur, boîtes
de médicaments récupérés collés sur des plans de l’hôpital
Sainte-Anne, médicaments liquides que j’ai utilisés comme
peinture. Certaines thématiques liées à ce malaise que j’ai
ressenti en travaillant dans des structures d’accueil, comme les
notions d’isolement, de détention, d’aliénation, sont devenues
centrales dans mes productions.
Quelles sont les premières oeuvres dans lesquelles tu exprimes
ce malaise social ?
J’ai eu cette nécessité de m’exprimer par rapport à ce que
je pouvais ressentir en tant qu’éducateur d’autant plus qu’au
Laos aucune infrastructure ne vient suppléer la cellule familiale
qui abrite tous les individus quelle que soit leur pathologie. J’ai
été choqué qu’ailleurs il soit possible de donner aux patients
des médicaments si fortement dosés, qu’on puisse utiliser des
camisoles de force, isoler les individus de leur environnement
familial. À l’École des Beaux-Arts, j’ai réalisé une série de toiles
peintes avec du jus de médicaments. Elles ont été montrées
in situ, dans un centre thérapeuthique psychiatrique. Chaque
toile d’un même format de 50 x 50 centimètres représente un
groupe de bâtiments où sont hébergées ces personnes. J’y ai
inscrit les noms des bâtiments où sont enfermés les déficients
mentaux / psychiques et personnes âgées. Certaines sont plus
imposantes, et j’ai aussi réalisé un wall painting. Les oeuvres sont
les composantes d’un projet plus vaste car en même temps que
leur présentation, j’ai travaillé avec des patients et les personnels
qui les encadrent en organisant des temps d’échanges entre
éducateurs et étudiants des Beaux-Arts.
Pendant combien de temps as-tu animé des ateliers ?
J’ai organisé des ateliers régulièrement pendant 15 ans avec
toujours cette volonté de favoriser un moment d’expression
libre. Des ateliers où ont été produits des textes, des dessins,
des peintures, qui étaient ensuite exposés. Sans verser
dans de l’art thérapie, conception à laquelle je n’adhère pas
personnellement, cette relation a pour objectif d’établir une
communication. Certains dessinent pendant des années le
même motif, d’autres se montrent plus inventifs, mais finalement
cela n’a pas beaucoup d’importance car ce qui est important
est que quelque chose sorte du fond de soi, que chacun trouve
la voie d’expression qui lui convienne. J’ai pu ressentir lors de
ces ateliers, ce même surgissement chez les étudiants qui sont
très sensibles à ces collaborations hors des circuits habituels du
milieu de l’art.
L’édition tient une grande place dans ta production, que
ce soit sous la forme de livres d’artiste, de catalogues, de
plaquettes, de mulptiples...
Elle a effectivement toujours été très présente tout au long de
ces trente années de production. J’ai commencé à produire des
éditions sous forme de petits catalogues brochés quand j’étais
à l’école des Beaux-Arts. Dans ces premières publications,
j’abordais les thèmes de la colonisation du Laos par les
puissances occidentales. Dans les éditions plus récentes, je fais
part de mes activités et workshops. S’y mêlent dessins, poèmes
et proses en alphabet roman et laotien. Je travaille actuellement
sur un catalogue qui retrace ma carrière artistique. J’ai ressenti
cette nécessité de me plonger dans mes archives, pour y voir
clair dans le cheminement qui a été le mien. Ce catalogue
n’est pas en soi le signe d’un quelconque aboutissement mais
marque plutôt un jalon. Il est important car il n’a pas juste
vocation à compiler des oeuvres ou des faits, mais de faire
mémoire, c’est-à-dire de témoigner des émotions qui ont été les
miennes et celles de tous ceux avec qui j’ai pu travailler pendant
toutes ces années. Il narre ces expériences et ces rencontres
humainement très riches.
Certaines de tes oeuvres semblent faire le pont entre les
cultures laotienne et occidentale, peux-tu nous en parler ?
La culture laotienne est ancrée en moi d’autant plus que dès mon
plus jeune âge, comme tous les enfants du Laos qui sont
initiés très tôt aux arts, j’ai beaucoup dessiné des paysages et
des animaux. Il est à noter qu’au Laos n’existe pas la distinction,
très marquée en France, entre les arts et l’artisanat. Mes oeuvres
portent cette double influence, interrogent des éléments du
quotidien. Lors d’une exposition au Laos, j’ai conçu une série
de paravents dont la forme en pointe reprenait les coiffes des
divinités de la culture bouddhique. De même, dans certains de
mes travaux, j’intègre des éléments provenant de l’histoire de l’art
occidental comme les auréoles des anges peintes par Cimabue.
Je fais constamment des connexions entre les deux cultures,
dans les formes mais aussi dans l’utilisation des matériaux
comme la brique utilisée pour construire les bouddhas.
Peut-on dire que ton geste artistique est d’abolir une
distance, celle entre les gens, entre les cultures, ou dans les
représentations ?
J’adhère totalement à cette idée d’abolir les distances. Il y a
sous-jacente une volonté de cristalliser quelque chose et de le
transmettre à la fois par la sculpture, le dessin et l’écriture. Je
me définis comme un sculpteur, à la fois par mes productions
mais aussi par l’influence de Beuys quand celui-ci parle de
« sculpture sociale ». Toute son oeuvre a été une tentative de
rapprochement entre l’art et la vie car il n’y avait pour lui aucune
distinction entre les deux. Les Cages à P. (2019), inspirées des
cages à poules que l’on trouve au Laos, mais aussi des pièges
à rongeurs, donnent un sentiment de structure aliénante, qui
enferme... Il y a cette idée d’une camisole, de piège visuel
ou d’un carcan duquel il faut échapper. Je laisse libres les
interprétations mais cette pièce relate un engagement plus
personnel par rapport à ce que j’ai pu observer en hôpital
psychiatrique. Je parle de cet enfermement social ou médical.
De même, les Oreilles de Bouddha évoquent cette notion
d’écoute à partir de laquelle se tisse toute relation avec autrui.
Abolir une distance c’est aussi relier les pratiques, qu’elles
soient utilitaires et artistiques. J’ai un projet en ce moment avec
une section chaudronnerie dans un lycée professionnel dans le
Nord de la France dans l’intention de monter un projet où les
savoir-faire pourront être amenés sur de nouveaux territoires.
Cette relation, de l’art et de la vie, est exprimée aussi dans
l’oeuvre Double passage. À quoi fait-elle référence ?
Ce motif qui s’apparente à une tête revient souvent dans ma
production. On peut le retrouver sur des paravents ou en
sculpture autonome en terre cuite ou en bronze. J’ai commencé
à étudier cette forme sur la sculpture « à Cimabue » et au
Passage d’Antin. Je travaillais dans un couloir d’un centre
psychiatrique où les formes de têtes de patients projetaient
des ombres en passant devant le mur. Il y avait quelque chose
d’assez émouvant dans ces figures. La forme d’arche marque
ces allées et venues, un double passage, dans ce couloir,
mais aussi pour ces patients dont certains sont schizophrènes
d’une personnalité à l’autre. Ce sont d’une certaine manière
des portraits qui viennent compléter ceux que j’ai dessinés
d’artistes ou écrivains qui ont été enfermés dans des hôpitaux
psychiatriques comme Antonin Artaud, mais aussi des dessins
d’animaux qui sont parqués dans des zoos.
Né le 13 février 1961 à Vientiane (Laos)
Vit et travaille à Lille et en Bourgogne
www.thanou-thihack.fr
Formations:
C.A.F. Moniteur Éducateur, C.E.M.E.A., Arras (1987)
D.N.S.E.P., École d’Art de Dunkerque (1989/1994)
Stage Art Thérapie à l’Hôpital Ste Anne, Paris (1997)
Stage Thermoformage à l’École d’Art de Douai (1999)
Étudiant Stagiaire, E.N.S.B.A., Paris (atelier de Vincent Barré, sculpture (2001/2002)
Rencontre avec Christian Boltanski, Jean-Marc Bustamante
Guiseppe Penone, Mathilde Ferrer
Intervenant vacataire à I’I.U.F.M. de Douai & I.R.T.S. de LOOS / Lille (2004/2005)
*Expositions récentes (sélection)
2019
Cages à P., EPSM Armentières, Lille Métropole
2016 et 2018
Hanou Sam I et II, expos et concerts avec Samuel Dubruque
Urban Soccer, Bondues, Lille
2006 et 2008
Paravents et Portes, Vientiane, Laos
2007
Hommage à Rothko M., Carnet Plus Ultra, Roubaix
**Actualités
30 ans de création
Monographie
avec les textes de Claire Maingon, Maître de conférence en histoire de l’art
contemporain à l’Université de Rouen, directrice de la revue Sculptures.
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Travaux de 1994 à 2008.
Préambule :
Les travaux sont effectués principalement avec des solutions médicamenteuses (en tant que médium ) :
neuroleptiques,anxiolytiques, antibiotiques…utilisés et appliqués sur des toiles, papiers, murs…
Lorsque les supports sont empreignés de ces substances pharmaceutiques, il y a une incrustation au crayon de mine d’images
de bâtiments représentant des hospices pour des personnes âgées, des foyers pour des déficients mentaux ; révélant d’une
manière métaphorique des lieux de malaise, d’enfermement, d’exclusion ou alternatif.
De même, ces médicaments sont consommés par la plupart des patients et pensionnaires avec lesquels Thanouvone a la prise
en charge en tant qu’éducateur.
Au niveau de références de quelques artistes qui ont utilisés ces matériaux à un moment de leur création, on peut citer :
Richard Ester « Rapport Pharmacy », Joseph Beuys « Les étagères », Erik Dietman « Sparadraps », Antonio Tapiès, Damien
Hirst, Christine Dekenuydt…
Ce médium élaboré essentiellement à partir de produits pharmacopés m’a permis de construire une palette de vocabulaire de
peinture qui sont tantôt malléable / fluide : sirop, gélules diluées, antiseptiques, désinfectants…ou bien rigide : boîtes de
médicaments, armoires à pharmacie…
Lorsque ces matériaux sont associés ou mise en situation et en interaction avec une image architecturale (hospices ou foyers)
dont traitaient également Michel Foucault dans « surveiller et punir », Gordon Matta-Clark dans « ses découpages de
bâtiments », David Hammons dans « ses maisons étroites » ; ces produits de traitement, de détournement et de violence
m’ont aidé à faire un travail critique et d’ironiser ces lieux « d’enfermement social ».
1) & 2) Sculptures « à Cimabuë » & « Aux Vieillards des Hospices », 2002.
Ces deux sculptures ont été élaborées à la briqueterie de Lomme (Nord).
Après plusieurs rendez-vous pris avec Vincent Barré, professeur de sculpture à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts à
Paris, les discussions et les mises au point ont permis de m’orienter vers d’autres formes de création. Ce qui n’est pas du tout
du repos. Car, psychologiquement dans un premier temps il fallait évacuer peu à peu les anciens travaux datés depuis 1994
(solutions médicamenteuses, personnes âgées, handicapés mentaux).
Dans un deuxième temps, même si l’esprit du travail artistique et le contenu avaient du mal à se libérer : prise de distance,
moins de littéralité il fallait trouver d’autres matériaux : « la terre de brique » pour ces deux réalisations.
Per KIRKEBY avait utilisé ce matériau dans les années 1966 ( Petite cheminée avec Briques Engilius) d’une manière
analogique par rapport aux postes de transfo électrique au Danemark, Stèle Sculpturale Architectonique. Ensuite dans les
années 70 : construction d’une petite maison dans la ville jutlandaise d’IKAST. Puis d’autres séries de sculptures, mais
toujours détruites après réalisation, sauf à Aalborg.
A la Documenta en 1982 : Crise avec les briques à cause des architectes. La brique, pour KIRKEBY, ce sont des blocs. La
structure de ses peintures, les échafaudages intérieures, un squelette.
De même, Jean-Marie KRAUTH avait utilisé ce matériau pour réaliser une installation d’une de ses pièces dans les années
1980. Ainsi que PERMEGIANI et Robert FILLIOU…la liste des artistes qui ont utilisé ce matériau est bien entendu non
exhaustive.
Parmi mes préoccupations, me confronter à ce matériau me demandait un immense effort physique et diverses démarches
afin de trouver une briqueterie qui pouvait m’aider et m’accueillir à la réalisation du travail en trois dimensions pour la
première fois.
Je pense que ce travail avec de la brique pose la question de la fondation, de la construction, de l’architecture….
En 2004, l’obtention d’une aide à la création m’a aidé d’effectuer un workshop au Laos, mon pays natal que j’ai quitté en
1975 avec une partie de ma famille suite aux événements politiques qui ont secoué l’Asie du Sud Est. Ce travail a eu lieu en
2006 avec les étudiants et un professeur section sculpture de la Faculté Nationale des Beaux-Arts de Vientiane au Laos.
Durant cette période, nous avions réalisé trois sculptures « Paravents » et un livre d’art.
Entre 2005 et 2007 : plusieurs projets et expositions : Portraits de malades mentaux, « Q » de vieillards, hommage à Mark
Rothko, Glanages…
En 2008, grâce à la bourse de mobilité « Lead » du Conseil Régional du Nord pas de Calais : Voyage de reprise de contact et
visite d’une école d’art à Savannakhet au sud du Laos en vu d’un nouveau workshop en 2011.
Sortie d’un livre « Passages / Enclos » prévue en 2009 évoquant un ensemble de 7 sculptures en acier et 3 autres en bronze
représentant des formes qui font penser à des fenêtres aveugles, Menhirs, Stèles…
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Thanouvone Thi-hack Baldine
Par Sully
Né le 13/02/1961 à Vientiane (LAOS) dans le Sud-Est Asiatique, qu’il quitte en août 1975 en compagnie de sa famille suite aux événements politiques qui secouent la région, pour se rendre dans le nord de la France, plus précisément à Dunkerque, ville où il vit depuis.
Il occupera de 1989 à1994 le double statut d’étudiant aux Beaux-Art et éducateur dans le secteur particulier de cas sociaux (dans un foyer) et des déficients mentaux (dans une structure alternative : appartements de vies thérapeuthique et éducative). Cette condition l’amènera très tôt à lier, dès sa deuxième année aux Beaux-Arts, une démarche plastique encore balbutante à sa pratique professionnelle d’alors : conception et mise en œuvre de l’objet d’art du point de vue des interpénétrations : Art/Social, Art/Politique. Là-dessus, vient se greffer, par glissement, naturellement, une revendication identitaire (Asie/Europe) qui dans un premier temps, sans pour autant éclaircir une démarche naissante, épaissira le sujet, jusqu’au moment où l’enceinte de l’école, castatrice, contraignante psychologiquement pour un vieil élève ( il a alors dépassé la trentaine d’années) ne sera plus vécue que comme espace muséal, d’échanges et de rencontres. L’école comme tribune, voilà ce qui apparaît au cours des deux dernières années d’études. Le gros du travail, quant à lui est réalisé dans le bain de la profession, entre éducateurs et malades, au milieu des scories de l’école pré-freudienne, dans des bâtiments rebaptisés, au crépi neuf et aux façades décorées. Les noms laissent rêveur ( Tamboise, Balancine, Marelle, Diapason, etc…) mais la réalité est bien plus prosaïque, et ce sont bien à des exclus du monde libre , à un univers carcéral d’un nouveau type que Th. Th. B. se frotte le nez et le ( pinceau). La fluidité du personnage ( gravitant sans cesse entre deux lieux d’activités que rendent distincts des préjugés vieux comme le monde ou encore une cécité acceptée par le nombre de gens), doublé d’un flegme et d’une impassibilité proprement asiatiques, arrive à cacher un zèle qui ne se dévoile que dans sa production : révélation des dysfonctionnements dans les lieux de malaise social, lieux d’enfermement, hôpitaux psy etc… en rapport avec la vacuité du discours des pouvoirs politiques face à ces aspects du social, par l’utilisation de procédés, médiums et mise en oeuvre extraits de l’univers pharmaceutique, médical, psychiatrique, etc… : emploi de solutions médicamenteuses spécifiques à de traitements particulier, participation des pensionnaires des hospices ou autres établissements à l’élaboration d’œuvres les concernant directement, etc…
Parfois un établissement ouvre ses portes à un de ces initiatives et il n’est pas rare de surprendre alors des paroles d’étonnement chez certains éducateurs, surpris de l’intérêt que manifestent souvent les pensionnaires ( internés? ) face à une demande ou à un travail qui pré-occupent.
Les peintures ou les dessins effectués par les cas sociaux, les déficients mentaux, les pensionnaires des hospices, sont autant de tentatives de faire pénétrer d’autres énergies, d’autres signes et champs de force en lutte contre l’aliénation d’un quotidien déjà trop oppressif ( concentrationnaire,) cotre ( dans les sens de côte à côte ? ) peut-être aussi les codes de la représentation classique, voire comme des clins d’œil empreints d’ironie à la périphérie des pratiques reconnues comme emblèmes de l’art dit contemporain.
Il existerait alors deux espaces de création ? desquels surgirait une polémique essentiellement dialectique ? D’un côté une sphère de prospection créatrice, d’analyse, de réflexion nourrie, d’investigations savantes, etc…Et de l’autre, une gesticulation guidée, une part à négliger ? où l’aboutissement plastique, quel qu’il soit, revêtirait un aspect hors-normes, constamment univoque ?
Le travail de Th.Th.B. tente, d’une certaine façon, de répondre à ces question ; par la négative, bien sûr, mais en essayant, d’une manière toujours récurrente, d’inscrire une marque critique (polémique ?) , héritage d’un engagement idéologique certain.
Bien qu’il se garde de citer des références historiques, des artistes ou des personnalités du monde littéraire, théâtre, ou des grands courants de pensée de cette fin de siècle qui sont à l’origine de certains de ses travaux, on est en droit de penser que de nombre de pièces renvoient, par leur nature, au mouvement de l’antipsychiatrie ou encore à une approche des sujets du point de vue de l’objectif Beuysien.
Th.Th.B. a quitté depuis 1994 l’Ecole des Beaux-Arts de Dunkerque, où il obtient à la même époque, après 5 années d’études, un Diplôme National Supérieur d’expression Plastique couronné des félicitation du Jury. Il travaille toujours actuellement dans les milieux décrits ci-dessus où il a mis en place avec sa compagne (assistante), voici quelques temps, un atelier d’arts plastiques. Là une dizaine de personnes, des déficients mentaux pour la plupart, participent régulièrement aux activités proposées. Par ailleurs deux autres ateliers ont été respectivement crées dans deux hospices du Nord et d’autres projets se mettent en place pour la préparation d’expositions au cours de l’année 1995.
Parallèlement, des ouvrages imprimés (livres et multiples) accompagneront ces manifestations. Ceux-ci auront été élaborés en grande partie avec l’aide des résidants ; malades et internés divers qui auront répondu à notre demande. Ces derniers y seront cités comme auteurs à part entière et pourront bénéficier du produit des ventes réalisées.
Fontaine Sully Antoine,
Dunkerque, le 13/09/1994.
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« Passages / enclos »
Pour être belle l’aquarelle se veut fragile et subtile, parfois même futile. Elle se dilue pour être précieuse et imprécise. Elle prétend saisir des instants, des ambiances qui n’insistent pas. Elle mélange les tâches, marie les fleurs et les labeurs. Elle répugne aux symboles et méprise les messages ! En un mot c'est bon pour les filles. La peinture à l’huile c’est tellement plus difficile ... Ne niez pas, cette pensée vous vient comme une nausée régulière ! En vous rechigne un salaud qui méprise la peinture à l'eau, les poèmes et les poètes. A la limite vous supportez les vers faciles, les petites rengaines, les sentiments. Vous seriez prêt à chantonner “l’oiseau s’envole ... l’enfant revient”. Rien n'est trop beau pour vos émois. Seulement voilà, dans les pages qui suivent un piège va se refermer. C'est la ratière du langage, celle qui brise les échines. Y plane un parfum de poésie, plutôt l'odeur de la mort ou l'odor di femina, ces mots toujours les mêmes pour dire la peur. Dès la première phrase vous lisez bien : "l’oiseau s’envole". Mais le sens vole en éclat et c'est votre âme qui s'en va. Lui, il ignore tout ça, il n'en a aucune idée. Il s'obstine dans un impératif inaccessible. Il éventre les vers de mirliton, les bourre de mots durs, violents, culturels et historiques. Il parle d'autre chose sans vraiment nous parler. L'oiseau s'envole et ça ne veut rien dire. Il banalise la langue, la maîtrise et la majuscule quand il veut. D'autres lieux et d'autres temps sont évoqués, pour lui, pour la fureur probablement. Bien sûr l'enfant revient, mais c'est trop tard. Orphelin de sa candeur, il montre des ruines, il souligne le désastre ...Victor Hugo sans doute, sans souffle, dans un malheur lointain. Lisez à voix haute “Passages / Enclos”, une ou deux fois. Trois fois même, c'est souvent nécessaire. Lentement vous sentirez la surprise, tardive et sans confort. De chaque mot s'ouvre une prose familière - moderne et saccadée - celle qui décline l'infortune. C'est du français très français, ça balance comme chez nous quand nos poètes sont enragés. Et pourtant impossible de partager, pas un sentiment, pas le moindre état d'âme. Nous les salauds qui réclamions du sensible et de bons sentiments nous voilà sourds, seulement témoins d'un accident vital. Ensuite essayez les aquarelles, celles qui suivent le poème, mutiques et immobiles. Echos visuels d’une agitation fossilisée, elles sont en défaut de votre regard, ne montrent ni ne cachent. Les tâches d'eau colorées ne débordent pas, elles s'étalent au dessus de figures qui leur sont aliénées. Elles sont viriles, belles mais fastidieuses, trop peu palpitantes pour le pinceau d'une jeune fille. Regardez bien vous entendrez mieux. Les dessins sont minuscules, calibrés cependant pour un dessein que personne n'encourage. Là encore il dessine pour lui, il veut une précision qui servira peut-être. La finesse du trait laisse supposer qu'il cherche des bords, des engrenages, quelque chose en tout cas qui signerait la facilité, une aisance légitime, un repos bien mérité ... Louis-Georges Papon Lille, le 27 décembre 2008.
“Passages/Enclos” In order to be beautiful, the water colour wants to be fragile and subtle, sometimes even frivolous. It dilutes itself in order to be precious and imprecise. It claims to seize moments, those surroundings which are not obvious. It mixes tasks, matches flowers with hard work. It is averse to symbols and scorns messages. In a word it is suitable for young girls. Oil painting is much more difficult. Do not deny it, this thought comes to you like a recurring nausea. There is in you a bastard who despises painting in water colour, poems and poets. At a pinch you tolerate simple poetry, small hackneyed expressions, sentimentality. You would be ready to hum “the bird flies away, the child comes back” Only there is, in the pages which follow, a trap which is going to close. It is the rat-trap of language, that which breaks the backbone. A perfume of poetry wafts there, or rather the smell of the dead, or the odor di femina, these words are all the same, they speak of fear. From the first phrase you read “the bird flies away”. But the sense flies in a burst and it’s your soul that flees away. But him, he doesn’t know all that, he has no idea about it. He persists in an inaccessible constraint. He tears open doggerel verses , the stuffing of hard words, violent, cultural and historic. He speaks of other things without really speaking to us. The bird flies away, and that is not worth mentioning. It banalises the language, the mastery and the capital when he wishes. Other places and other times are evoked for him, for the passion probably. Of course the child comes back, but it is too late. Orphan of his ingenuousness, he points to ruins, he underlines the disaster. Victor Hugo without doubt, without breath, in a distant misfortune. Read out loud “Passage/Enclos”, once or twice. Three times even, it’s often necessary. Slowly you will feel surprise, late and comfortless. From each word opens a familiar prose – modern and staccato – which accepts no responsibility for misfortune. It is of the French, very French, that balance as with us at home when our poets are passionate. And yet impossible to share, not a sentiment, not the least movement of the soul. And we, the bastards, who claim to be sensitive and have fine feelings, are only deaf and nothing but witnesses to a vital accident. Next, try the watercolours, those which follow the poem, mutant and immobile. Visual echoes of a fossilised agitation, they are difficult to make out, neither showing nor hiding. The stains of coloured water do not overflow, they spread themselves over the figures from which they are alienated. They are virile, beautiful but fastidious, too exciting even for the paintbrush of a young girl. Look well, you will understand better. The drawings are miniscule, calibrated moreover for a design that no one encourages. There again, he draws for himself, he desires a precision which will perhaps be useful. The fineness of line allows the supposition that he searches for boundaries, the gearing, something in any case which would signify ease, a legitimate comfort, a well-merited rest….. Translated from an article in French by Charmian Martin & Georges Graves,LondonFebruary2009, written by Louis-Georges Papon. Lille, the 27 December, 2008. © thanouvone thi-hack baldine 2009, Frontispice “ Passages / Enclos”. **************** « L’oiseau s’envole… Bruit sourd et confus, L’eau coule, Vent agitant feuillage, Plainte de Bassesses, Obstacle infranchissable, Soutien des Terres d’une Communauté, Installation d’êtres humains, Même territoire, Possession d’une unité historique, linguistique, religieuse, économique. Meilleure muraille entourant place de guerre / château fort : COURAGE. Fleuve, montagne : limitrophe, séparant, obstruant, empêchant…se retranchant derrière assemblage de pièces de bois murant : passage ou enclos ? …l’enfant revient ». ******************************************** Travaux artistiques de Thanouvone Uraï de 2005 à 2010. Préambule: Le workshop de sculpture en 2006 avec l'Ecole Nationale des Beaux-Arts de Vientiane au Laos ( voir dossier, annexe Laos ) et la réalisation de 3 sculptures et un livre d'art parchemin « Paravents » m'ont permis de découvrir d'autres vocabulaires plastiques. Les recherches des travaux s'orientent davantage vers la sculpture, le dessin, le livre d'art...Tout en gardant la préoccupation essentielle du contenu qui aborde la notion de « l'enfermement social ». Ce voyage m'a permis de rencontrer des artistes laotiens, de renouer avec l'origine de ma culture et m'a amené à créer de nouveaux projets.
Série de dessins de 14 portraits au crayon de mine et couleur rouge de malades mentaux vivant dans des lieux alternatifs / appartements à Lille, dans le Nord de la France. Dans ce travail, la participation des résidants était nécessaire et très intéressante pour la pause et le vernissage.
-Série de 12 aquarelles et un carnet de dessins / encres représentant des formes de passage en inspirant de grands formats de peintures de Rothko lors d'un voyage à Londres, Tate Gallery. - « à Gial », 2007. Corne de boeuf collée sur fenêtre, brique pilée sur vitre. Hommage à Alberto Giacometti par rapport à sa sculpture phallique: « objets non désirables à jeter ».
-Série de 3 monochromes de 3 sortes de brique pilée collée sur toile.
- « Passages / Enclos », 2008. Ensemble de 10 aquarelles et de 10 dessins pour le projet d'un livre d'art et un projet de sculpture. - « Portraits d' écrivains et animaux», 2008. Dessins d'animaux d'Europe évoquant l'enfermement de ces bêtes dans les zoos et d'écrivains qui ont des liens plus ou moins forts avec la folie: Antonin Artaud, Camille Claudel, Erasmes, Goya... - « Portes et animaux du Laos », 2009. Série de 3 dessins à l'encre sur papier Sâ, apporté du Laos lors de la visite d'une école d' Art dans le Sud, Bourse de mobilité Lead, Conseil Régional Nord-Pas-de Calais. Ces dessins représentent en partie des animaux sauvages mais aussi des motifs de portes traditionnelles du Laos. - « Les carnets de dessins», 2005 à 2010 qui m'ont aidé à esquisser mes projets divers.
- « Portraits », 2005. Edités à 50 exemplaires numérotés et signés, sorti à l'occasion de l'exposition. - « Passages / Enclos », 2009. Edités à 550 exemplaires dont 200 numérotés et signés. Ce livre a été réalisé en vue d'un projet de 3 sculptures en bronze ( Passages )et de 7 sculptures en acier ( Enclos ). - « Patou Lao et animaux », 2009. Exemplaire unique, dessins à l'encre sur carnet en forme de paravent, représentant des animaux sauvages et des motifs des portes traditionnelles du Laos.
- « Q de Vieillards », 2007. Douze maquettes en terre cuite représentant des postérieurs de vieillards. - « Passages / Enclos », 2008. Ensemble de 3 terre cuite représentant des formes de passages, portes, voûtes... Ensemble de 7 plaques en acier représentant des murs, cloisons, remparts... - « Enfer / Paradis », 2010-2011. Peinture représentant 3 formes de passages utilisant plusieurs superpositions et de couches de peinture à l'huile inspirées par la méthode de Eugène Leroy qui fut mon ancien professeur aux Beaux-arts de Lille dans les années 80. - « Tour / Cheminée », 2010-2011. Trois maquettes de sculpture en argile avec incrustation des formes de têtes abstraites suggérant la sortie, l'évasion des viellards, des malades mentaux... Thanouvone Uraï Wavrin, Mars 2010. **************************************** « Aux Vieillards » Tirer un trait de plume sur l’impénétrable Homme cruel, sans intelligence afin de Combler mes désirs. Bouche-trou du chas Ou de la lune n’hésiterait pas de mettre Quelqu’un au pied du M…de lamentation, Du son, car ils ont peut-être des oreilles ! Composition de musique instrumentale Qui précède un otario ressemble à un Espace vide à un corps ou à un Elargissement des alliances. Avec son Air intelligent, vif, déclaré, manifeste A bras ouvert cordialement qui se confie, Qui exprime la franchise à travers cette Petite fente dont le sens caché se laisse Deviner et traverser aisément par la Lumière. Faire cesser le fonctionnement Et empêcher l’accès à ce négatif Diaphane / Transparent, l’arrêt obsolète Apportera-t-île ce garde fou ? Ces limes, ces remparts, Ces barrières, ces îlots, Ces barricades, ce noir…exit ! Cette lueur, ce vide, Ce cul, cette issue, Cette trouée, cette fente…Motus ! Eclosion aspirante de l’enveloppe nymphale, Ou…moisissure fermentée nécrophallique ? Th.th.B. © « exit / motus », th.th.b. 2004. ************ « Je ne te connais point jusqu’à ce jour où l’on me parle de toi. Lorsque j’ai commencé à pénétrer dans ta légende, je pressenti ceci en toi : camouflage, piège, ruse, tricherie, dissimulation, tromperie, anti-règle… » « Ce que j’aime en toi, c’est ton moyen détourné dont on se sert contre une personne pour la tromper ; ton procédé habile et déloyal dont on se sert pour parvenir à ses fins ; ton abus de la confiance de quelqu’un en usant de mensonge et de simulation. Ce que je hais en toi, c’est d’enfreindre les règles d’un jeu pour gagner ; de ne pas laisser paraître tes sentiments, tes intentions, de cacher et de soustraire au regard ; de placer dans ton lieu secret pour enlever à la vue, aux recherches, laisser et ignorer tes intentions. Ta déloyauté, ta fourberie et ton hypocrisie me fascinent autant qu’elles me répugnent… » Th.th.b. Extrait du livre « Le cheval de Troie ».1993, Beaux-Arts Dunkerque. ********************* « Le névrosé construit son château en Espagne, Le psychopathe y habite, Le psychiatre touche le loyer ». Michel Audiard« Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé que pour sortir de l’enfer ». Antonin Artaud, ( in Van Gogh, le Suicidé de la société). ****************************************************************************************** Au début un paravent. Entrer, Sortir pour y rester un jour définitivement, Emmurer à jamais avec l’attente de visites de moins en moins fréquentes. D’interminables cauchemars viennent peupler mes nuits, Je me cogne aux quatre coins des murs de ma chambre. Murs de béton, de briques. Aucune issue de secours. Je me réveille sueur au front, mais qui peut bien se soucier de moi. Je cherche le paravent du début, Peu à peu mes forces s’affaiblissent, Je me résigne et sais maintenant que Devant le paravent se trouve un mur infranchissable. Et petit à petit, je fais corps avec ce mur, Je finis même par m’y endormir pour ne plus jamais m’y réveiller. Et là où j’y suis maintenant, Âme qui rode sans frontière aucune, Où aucun paravent ni mur n’effleure mes ailes et Qui j’espère ne l’effleureront jamais. Lecture effectuée par Th.th.Baldine, Le 11/04/2006 lors du vernissage Workshop »Paravents » à La Faculté Nationale des Beaux-Arts à Vientiane, Laos. ****************************************************************************************** A Gora ! Agora ! ( ou la diagonale du Fou de Grenay) Joindre Les deux sommets D’un Polyhèdre n’appartenant Pas à une même face nommée parfois Biais / Oblique / Pente / Côte, Cône…….. Mettre en lieu sûr, murmure l’ornitho-voyageur. Un Demi-Sentier Surgissant : Rainette, Api, Calville, Fenouillet, Non ! Plutôt : l’Artois, l’Ecluse et Cerisier, La Rayée de Bully, La d’Haine, La Sacha, Les Mariniers La Belle Polonaise de Méricourt…………………………….. Bacille D’origine végétale Renfermant une proportion Jusque l’avoir dans l’œil d’Adam ? Ou bien, jusqu’à tomber dans des gisements Minéraux fossillés de renseignements de lueurs machiavéliques. Eclaire-moi ! Prends ton Envol ! ! ! Thanouvone Thi-hack Baldine, Workshop à Grenay (France), Novembre 2004. **************** …/… « Après le générique de fin, je reste étendu et regarde le plafond. Dans le couloir, les infirmières effectuent leur tournée des chambres, changent les couches et s’enquièrent de l’état des malades, écoutent les misères de chacun et prescrivent des placébos pour contenter les geignards. On frappe à ma porte. Christine entre dans sa blouse blanche et referme derrière elle. Sans un mot, elle s’approche de moi et s’assoit sur le bord du lit. Elle me prend la main et la fourre sans détour entre ses cuisses. Je me laisse faire, joue l’innocent. Ce petit jeu dure depuis plusieurs mois et emprunte toujours le même rituel. Christine déboutonne ensuite sa blouse, dégageant deux gros seins dans leur bonnet qu’elle dégaine pour que je les tête. Je m’exécute pendant qu’elle défait ma ceinture. Elle me branle un peu et me suce. Puis elle monte sur le lit et s’assoit à califourchon sur moi. Elle s’active, trémoussant des fesses et ondulant du ventre. Elle se retourne et je dois la prendre en LEVRETTE. Elle gémit un peu, secoue la tête. Je geins de même. Quand elle a quitté la chambre, je reste étendu et regarde le plafond. J’ai reçu mon placébo ». in « Les jours heureux », de Laurent Graff. *****************************
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