Un artiste encombrant
English version below. Les œuvres d’Uraï Thanouvone sont embarrassantes, voire encombrantes. Elles s’insinuent sans trop de violence dans les préoccupations de l’amateur, mais elle s’incrustent et se réveillent chaque fois que les chemins secrets de la création sont de nouveaux explorés. Elles sont là presque inévitables, à produire les mêmes questions, comme si aucun progrès ne pouvait se faire dans la connaissance des choses gratuites. Cherchez d’abord une immense oreille de Bouddha, sculptée dans une pierre immobile. C’est par elle qu’il faut commencer. Démesurée, elle encombre matériellement tout l’espace d’un jardin, de ces jardins européens à la périphérie des villes qu’on distribue aux classes moyennes pour y faire griller des côtelettes le dimanche. Manifestement elle n’a pas sa place, ne la trouve pas, ou plutôt invente un espace qui ne sera jamais pour nous. La pratique du barbecue est réfractaire à la sobriété du grandiose. Mais ce serait trop facile d’y voir l’intrusion de l’Asie, l’arrivée d’un exotisme de pacotille. Non, au contraire, l’artiste connaît son occident par cœur. Il vise juste et cette oreille impersonnelle, sans fioritures, donne l’impression de peser des tonnes, mais des tonnes légères, de cette légèreté que seuls les architectes produisent quand ils savent parler au béton. Que faire de cette oreille qui ne livre rien et refuse d’imiter l’organe subtil de l’audition. Le Bouddha est sage ! A son sujet c’est probablement la seule intuition que formulent les gens bien de chez nous. Mais alors ils s’attachent aux yeux mi-clos, au sourire esquissé, à la corpulence impressionnante. Que feraient-ils d’une oreille qui ne reflète aucune disposition de l’âme ? En fait revient la même réponse insistante : le Bouddha est toujours pour vous plus encombrant que sage. Voilà ce que vous devriez entendre avec vos propres oreilles. La même ironie se retrouve, intactes dans d’autres dimensions. C’est tout juste si les petits objets ne sont pas encore plus gênants, témoins silencieux d’une gaucherie imprévisible. Ses livres par exemple, Uraï Thanouvone les a pensés comme des livraisons. Le papier est superbe, rugueux et chaleureux, au point de laisser des traces de bois dans sa coulée. Dans un premier temps le lecteur visite et trouve ses repères. Les écritures se mélangent sur un fond noir accueillant, et les lettres qu’on épelait autrefois dans un B, A, BA innocent flirtent aujourd’hui gentiment avec d’autres qu’on avait jamais vues. Dans la mesure où tout est plié, on se dit que le livre est un dépliant. Mais où mettre cet ouvrage ? Dans la bibliothèque ? Oui, si vous voulez, mais il disparaîtra ! Au mur, dans un joli cadre en bambou qui ferait couleur locale ? Eh bien non, la dernière page est imprimée de l’autre côté, si bien que l’ensemble serait amputé s’il était exposé. Vous voilà embarrassé, les mains pleines d’un objet d’art dont vous ne savez que faire. Le petit livre vient de livrer un secret : jamais vous ne pourrez me ranger ! Avec mes écritures indéchiffrables venues de l’autre bout du monde je vous dis que les gadgets vous encombrent. Et cette naïveté inquiétante soudain crève les yeux ! Le fil rouge serait-il trouvé ? Un humour touchant déjà vous envahit et rien ne vous interdit d’imaginer une sorte de monsieur Hulot qui touche à tout, au démesuré et au trop petit. Dans l’atelier, un Jacques Tati Thaï-Lao nous apprend à travailler au micron près. Cela est vrai, vraisemblable du moins. Mais tout serait faux si on négligeait la folie qui traverse régulièrement la production d’Uraï Thanouvone. Non pas la folie des poètes ou des spectateurs qui dénoncent la cruauté du monde mais celle des professionnels. L’artiste est travailleur social, qu’on se le dise ! L’accompagnement de ceux qui plonge définitivement dans l’errance est son métier, c’est même sa mission dans la Cité. On trouve donc plein de visages, des visages et encore des visages, des vagues de visages. Ils vous regardent sans souffrance excessive et veulent seulement montrer qu’ils sont uniques, qu’on n’a pas le droit de les confondre. C’est bien la folie familière, celle des institutions ! De ces portraits se dégage ainsi sans trop d’effort une certaine chaleur, le goût du bel ouvrage. On dirait que la pudeur ne retient pas les grimaces, ces grimaces défigurantes qu’on croit devoir dessiner sur la bouche des aliénés. Dans le fond l’artiste a l’air sympathique, mais franchement il n’est pas commode. Figurez-vous que brusquement chacun de ses regards devient encombrant comme une grande oreille. Louis-Geoges Papon Lille, le 27 mai 2008.
A challenging artist ...
The works of Urai Thanouvone are disturbing, indeed challenging. They slip without too much violence in the concerns of the amateur, but they take root and awaken each time that the secret ways of creation are re-explored. They are there, almost inevitably, to raise the same questions, as if no progress could be made in the knowledge of things given freely. Look first at an immense Buddha’s ear, sculpted in stone. It is necessary to begin with this. Disproportionate, it takes up the space of a garden, one of those European gardens around the periphery of towns, where the middle classes grill their chops on Sundays. Manifestly, it is out of place, has not found its place, rather it must devise a space which will never be for us. The practice of the barbecue is antithetical to the restraint of grandeur. But it would be too easy to see there the intrusion of Asia, the arrival of cheap exotic goods. No, on the contrary, the artist knows the West by heart. He sees aright, and this impersonal ear, without embellishment, gives the impression of weighing many tons, but of light tons, the lightness that only can be produced by architects who know truly how to speak to concrete. What to make of this ear, which gives nothing, and refuses to imitate the subtle organ of hearing. The Buddha is wise! In respect of his subject, that is probably the only intuition which the man in the street formulates. But they bring with it half-closed eyes, to the hint of a smile, at the impressive corpulence. What do they make of an ear which reflects no mood of the soul? One comes back to the same insistent response: Buddha is always for us more troublesome than wise. That is what you must understand with your own ears. The same irony is found undiminished in other dimensions. It’s true to say that the small objects are no less disturbing, silent witnesses of an unpredictable gaucherie. In his books for example, Urai Thanouvone thinks of them as he would deliver them. The paper is superb, rough and warm to the point of allowing traces of wood in its grain. For the first time, the reader visits, and finds, his point of reference. The writings blend in a deep welcoming black, and the letters that one would spell at other times by B and A, flirt innocently today with others that one has never seen. Inasmuch as where all is folded, one says that the book is an unfolder. But where to put this book? In a library? In a library? Yes, if you like, but it will disappear! On the wall, in a nice bamboo frame which would give local colour? No, the last page is printed on the other side so that the whole would be amputated if it were exposed. You are embarrassed, hands full with an object of art, which you don’t know what to do with. The little book comes to deliver a secret: you could never arrange me. With my indecipherable writings which come from the other end of the world, I tell you that gadgets encumber you. And this sudden naivete strikes the eye! Would the red line be found? A touching humour already invades one, and nothing prevents one from imagining a sort of M. Hulot who touches everyone, from the largest to the smallest. In the workshop, a Jacques Tati Thai-Lao teaches us to work close to the micron. That’s true, at least probably. But all would be false if one neglected the passion which regularly runs through the productions of Urai Thanouvone. Not the passion of poets, or the spectators who denounce the cruelty of the world, but that of the professionals. The artist is a social worker, as one reminds oneself! The accompanier of those who are down and out, that is his metier, it is even his mission in the City. One finds, therefore, plenty of faces, faces and more faces, waves of faces. They look at you without excessive suffering, and wish only to show that they are unique, that one hasn’t the right to think they are all the same. It’s the familiar folly, that of institutions! From these portraits comes, without too much effort, a certain warmth, the taste of a job well done. One would say that decency does not restrain the grimaces, those disfiguring grimaces that one believes must be drawn on the mouths of the alienated. Ultimately, the artist is likeable, but frankly he isn’t easy going. You suddenly realise that his views are as challenging as a big ear. Louis-Georges Papon. 27th may 2008. Translate by Charmian Martin & Georges Graves, London, 2008.
Experience
Récompenses
Reconnaissance du travail, prix, bourses et formations délivrées.